
Dame
Mboup
Alors que les ressources maritimes vitales de l’Afrique sont menacées, la technologie et la transparence ouvrent une nouvelle voie vers un avenir durable pour la pêche
Avec ses 5 500 kilomètres de côtes, l’Afrique de l’Ouest abrite certaines des pêcheries les plus diversifiées au monde et possède une riche tradition maritime qui soutient les vies et les moyens de subsistance de nombreuses communautés de la région. En effet, sur l’ensemble du continent africain, le poisson représente bien plus qu’une source essentielle de protéines: il constitue aussi un pilier de stabilité économique et un marqueur fort d’identité culturelle. Selon la Banque mondiale, les secteurs de la pêche et de l’aquaculture contribuent directement à hauteur de 24 milliards de dollars à l’économie africaine et emploient environ 12 millions de personnes. De plus, la demande en poisson devrait augmenter de 30 % d’ici 2030, portée par la croissance démographique et la hausse du revenu par habitant, soulignant ainsi le rôle central de cette ressource dans la vie du continent.

Mais alors que les nations côtières africaines font face aux pressions combinées du changement climatique et de la diminution des ressources maritimes, les enjeux pour le secteur de la pêche du continent n’ont jamais été aussi élevés. Les vastes et diverses zones maritimes, allant de Madagascar au Sénégal, sont confrontées à des menaces croissantes qui pourraient compromettre leur avenir et mettre en péril les communautés qui en dépendent. Le manque de surveillance et de contrôle a notamment favorisé la prolifération de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN), avec près de 40 % des poissons capturés illégalement, ce qui entraîne d’importantes pertes économiques et une dégradation de l’environnement.
« Le secteur de la pêche en Afrique est confronté à des défis chroniques tels que des systèmes de gestion faibles, une surveillance limitée et un manque criant d’investissements dans la gouvernance durable du secteur de la pêche », avertit Dame Mboup, responsable Afrique de Global Fishing Watch. « Cela engendre une pression croissante sur les communautés et les écosystèmes marins. »
Pourtant, face à ces défis, Mboup, en collaboration avec l’équipe Afrique de Global Fishing Watch, encourage une nouvelle vague de gestion de l’océan, qui associe la technologie à la transparence pour soutenir la transition de l’Afrique vers une gestion plus durable de la pêche.
« Avec des investissements ciblés, une coopération régionale et l’adoption de technologies qui apportent une plus grande transparence dans la gouvernance de l’océan, les pays africains ont une réelle opportunité de protéger leurs eaux tout en générant des bénéfices économiques, sociaux et environnementaux sur le long terme », poursuit-il.
« C’est précisément là que Global Fishing Watch entre en jeu: en donnant aux pays africains les moyens d’exploiter notre technologie open source pour transformer l’avenir de l’océan en un modèle durable.»
Alors que chefs d’État, décideurs politiques et acteurs de la société civile s’apprêtent à se réunir à Nice, en France, à l’occasion de la troisième Conférence des Nations Unies sur l’océan (UNOC3), nous avons rencontré Dame Mboup pour en savoir plus sur le combat en cours de l’Afrique contre la pêche INN et comment la technologie et la transparence peuvent aider les gouvernements africains à tracer une voie vers une économie bleue plus résiliente et plus équitable.
Global Fishing Watch soutient le travail des gouvernements africains sur la pêche depuis plusieurs années. Comment cette collaboration a-t-elle évolué, et quels ont été vos plus grands motifs de fierté?
Au cours des cinq dernières années, Global Fishing Watch a renforcé son engagement à travers l’Afrique, en passant d’une approche axée sur les pays à un partenariat avec des organismes régionaux qui favorisent la collaboration transfrontalière.
Aujourd’hui, Global Fishing Watch est reconnu comme un partenaire de confiance et un allié précieux par de nombreux pays de la région. Nous sommes fiers de voir cette reconnaissance s’exprimer dans des instances de haut niveau, comme le Comité des pêches de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), où des responsables africains ont mis en avant leur collaboration avec notre organisation. Nous constatons également un intérêt croissant de la part des autorités à travers le continent, plusieurs pays ayant déjà exprimé officiellement leur volonté de collaborer.
La pêche INN est souvent citée comme une menace majeure pour les ressources maritimes africaines. Quels facteurs structurels et politiques rendent les eaux africaines particulièrement vulnérables, et quelles seraient les conséquences à long terme si cette tendance se poursuit ?
La pêche INN représente une menace majeure dans les eaux côtières africaines, compromettant à la fois les écosystèmes marins et les économies nationales. Les causes de cette crise sont multiples et profondes: des déficits budgétaires chroniques empêchent de nombreux gouvernements d’investir de manière adéquate dans la protection des ressources halieutiques, tandis que des intérêts politiques relèguent trop souvent la gestion durable des ressources au second plan.
Il est donc urgent de rectifier le tir. Sans davantage de transparence, un renforcement de l’application des lois et une réelle volonté politique, les pêcheries africaines continueront de s’épuiser sous le poids de l’inaction. C’est dans ce contexte que Global Fishing Watch peut jouer un rôle déterminant. Notre mission consiste à accompagner les gouvernements en leur fournissant des données en libre accès et des technologies satellitaires, afin de leur permettre de surveiller plus efficacement leurs eaux et de lutter contre les activités illicites.
L’Afrique compte de nombreuses pêcheries artisanales. Quels sont les défis à relever pour que les changements de gouvernance internationale soutiennent réellement les populations locales qui dépendent de la pêche?
La pêche artisanale est essentielle à la sécurité alimentaire, aux économies locales et à l’identité culturelle sur tout le continent africain. Pourtant, elle est confrontée à des défis croissants – allant d’une faible régulation et du manque d’investissement à une pression toujours plus forte sur les écosystèmes marins. Bien que la FAO et ses États membres aient pris certaines mesures pour répondre à ces enjeux, il reste encore beaucoup à faire pour que les politiques tiennent véritablement compte des réalités et des besoins des communautés de pêche côtières.
Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là. Les communautés de pêche artisanale doivent également faire face à la concurrence et aux menaces posées par les flottes industrielles, dont les navires de grande taille peuvent endommager leurs équipements, dégrader leurs zones de pêche et mettre en péril la vie des pêcheurs en cas de collisions ou d’incidents en mer.
Enfin, les pêcheurs artisanaux africains sont confrontés à de nombreux obstacles techniques et financiers. Par exemple, de nombreuses petites embarcations ne disposent pas d’équipements de géolocalisation de base – pourtant essentiels pour la sécurité en mer et le suivi des activités – tout simplement parce qu’ils sont inabordables. Sans investissements en conséquence, ces communautés risquent de rester marginalisées et insuffisamment protégées.
Les gouvernements africains ont mis en place différentes politiques et partenariats pour améliorer la gouvernance du secteur de la pêche et assurer la durabilité de l’océan. Selon vous, quelles initiatives présentent le plus de potentiel, et dans quels domaines reste-t-il des marges de progrès?
Les gouvernements africains ont lancé plusieurs initiatives prometteuses, souvent en collaboration avec des organisations régionales telles que la Commission sous-régionale des pêches (CSRP), le Comité des pêches du Golfe de Guinée central (FCWC) ou encore la Commission régionale des pêches du Golfe de Guinée (COREP). Ces efforts ont donné des résultats prometteurs en matière de gouvernance des pêches pour un avenir plus durable pour l’océan.
Un autre exemple est le Réseau d’aires marines protégées d’Afrique de l’Ouest (RAMPAO), une alliance régionale essentielle réunissant gouvernements, organisations de la société civile et communautés locales pour protéger les zones maritimes écologiquement sensibles. En coordonnant la gestion des aires marines protégées à travers les frontières nationales, le RAMPAO joue un rôle central dans la protection des zones riches en biodiversité, cruciales pour la reproduction de nombreuses espèces marines. Son approche fondée sur l’implication communautaire renforce non seulement l’efficacité des efforts de conservation, mais garantit également que les populations les plus dépendantes des ressources maritimes aient une voix quant à leur préservation.
Parmi les autres initiatives marquantes figurent l’Initiative pour la transparence dans le secteur de la pêche (FiTI), la Charte africaine sur les pêches maritimes, ainsi que des programmes régionaux de surveillance maritime tels que le Programme pour une meilleure gouvernance régionale du secteur de la pêche en Afrique de l’Ouest (PESCAO).
Cependant, les progrès restent freinés par des défis persistants, notamment le manque de ressources humaines et techniques, une coordination régionale faible, une inclusion insuffisante des pêcheurs artisanaux dans la prise de décision, et un écart entre les politiques et leur mise en œuvre. Par ailleurs, malgré des engagements publics en faveur d’une gestion durable et participative des ressources, la mise en œuvre fait souvent défaut, permettant à des pratiques néfastes de perdurer et compromettant la santé de l’océan sur le long terme.
La stratégie pour l’économie bleue de l’Union africaine et les objectifs mondiaux comme le 30x30 visent à assurer une gestion durable de l’océan. Selon vous, que doivent faire les pays africains pour vraiment atteindre ces objectifs d’ici 2030, surtout quand ils doivent aussi gérer d’autres priorités de développement?
Il est tout à fait possible d’aligner les pays africains sur la stratégie d’économie bleue de l’Union africaine ainsi que sur des objectifs mondiaux comme l’objectif 30×30, à condition que certaines exigences clés soient remplies. D’abord, il faut renforcer la gouvernance de l’océan en mettant en place des cadres juridiques plus clairs, en améliorant l’application des règles et en renforçant la transparence. Par ailleurs, l’économie bleue ne peut pas rester en marge des plans nationaux de développement: elle doit être considérée comme un élément central de la croissance économique, de la création d’emplois et de la sécurité alimentaire. Cela implique de l’intégrer pleinement dans les politiques et stratégies d’investissement plus larges.
Il est également indispensable d’investir dans les populations. Il est important de renforcer les capacités locales et s’assurer que les communautés côtières et de pêcheurs soient non seulement impliquées mais aussi autonomisées dans ce processus. Enfin, la coopération régionale doit s’intensifier. Les écosystèmes marins ne connaissent pas de frontières, d’où la nécessité d’une meilleure coordination entre les pays qui partagent les mêmes ressources.
Si nous voulons atteindre sérieusement l’objectif 30×30 d’ici 2030, il faut repenser l’économie bleue comme un levier clé du développement. Cela exigera une véritable volonté politique, des stratégies mieux pensées et des moyens efficaces pour préserver à la fois les écosystèmes marins et les droits des communautés qui en vivent.
En regardant vers l’avenir, quelles mesures concrètes les gouvernements africains - et leurs partenaires internationaux - pourraient-ils prendre pour garantir que les pêcheries du continent soient non seulement protégées, mais aussi résilientes et économiquement bénéfiques pour les générations futures ?
Pour garantir la protection, la résilience et les bénéfices économiques durables du secteur de la pêche en Afrique, les gouvernements du continent et leurs partenaires internationaux doivent adopter une approche intégrée fondée sur la durabilité, l’équité et la gouvernance inclusive. Cela commence par l’intensification de la lutte contre la pêche INN. Mais la répression seule ne suffit pas. Les communautés doivent également faire partie de la solution, grâce à une gestion participative et inclusive des pêcheries. Lorsque les pêcheurs, les dirigeants locaux et les habitants des zones côtières participent à la gestion des ressources, il y a un plus grand sentiment d’appropriation et de meilleurs résultats.
Il est également nécessaire d’élargir le débat au-delà de la pêche maritime. L’aquaculture, par exemple, représente une véritable opportunité, en particulier pour les pêcheurs artisanaux qui sont en première ligne du changement. En parallèle, il faut adopter une approche régionale. Les poissons ne s’arrêtent pas aux frontières, et les erreurs commises dans un seul pays peuvent affecter toute une façade maritime. C’est pourquoi il est crucial d’harmoniser les politiques de pêche et d’investir dans des évaluations partagées des stocks. Les pays côtiers ont besoin d’outils et de données scientifiques fiables pour gérer leurs ressources halieutiques de manière informée – sans cela, il avancent à l’aveugle.