Paolo
Domondon
De l’ambition à l’action : La troisième Conférence des Nations Unies sur l'Océan sera-t-elle un tournant pour la gouvernance de l’océan ?
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À la Conférence des Nations Unies sur l’océan, Paolo Domondon appelle les dirigeants mondiaux à faire preuve de transparence et d’équité afin d’accélérer les efforts pour une meilleure gouvernance de l’océan.
La ville française de Nice n’est pas étrangère à la scène internationale. Située au bord de la Méditerranée, elle a longtemps été un carrefour de diplomatie, de luxe et de culture. Cette semaine, la ville côtière accueille un rassemblement unique aux enjeux élevés : la troisième Conférence des Nations Unies sur l’océan, ou UNOC3, où dirigeant.e.s du monde, scientifiques et représentant.e.s de la société civile se réunissent pour un sommet décisif face à l’accélération de la crise – à laquelle l’océan est confronté.
Alors qu’il reste moins de cinq ans pour atteindre l’échéance de 2030 fixée pour une série d’engagements environnementaux mondiaux, la conservation de l’océan s’impose comme un véritable test de volonté politique et un baromètre de la coopération internationale. Parmi les engagements les plus ambitieux figure l’objectif 30×30 : protéger 30 % des terres et de l’océan à l’échelle mondiale d’ici à la fin de la décennie.
« L’objectif 30×30 offre non seulement de l’urgence, mais aussi du réalisme », déclare Paolo Domondon, directeur des programmes et des politiques chez Global Fishing Watch. « Il bénéficie d’un large soutien des parties prenantes et s’appuie sur les leçons durement acquises du passé, tout en offrant à la communauté de la protection de l’océan un point de ralliement clair. »
Mais, ajoute-t-il, la route vers 2030 exige « non seulement des engagements plus ambitieux, mais aussi davantage de transparence, de responsabilité et d’inclusion dans la manière dont ces engagements sont mis en œuvre. »
Le parcours de Domondon dans le plaidoyer international pour l’océan a commencé dans les villages côtiers de son pays natal, les Philippines, où il a entamé sa carrière auprès des communautés autochtones, des habitants de quartiers informels et des populations vivant dans des zones touchées par les conflits. Défenseur de la justice environnementale et sociale, il consacre depuis plus de vingt ans son engagement à des enjeux tels que la conservation de l’océan, la pêche durable, la gouvernance responsable et la résilience face au changement climatique.
Avant son départ pour Nice, Paolo Domondon nous a partagé ses réflexions sur les défis à relever pour atteindre l’objectif 30×30, le rôle des sommets internationaux comme l’UNOC, et pourquoi la transparence peut rétablir un équilibre des pouvoirs et permettre à la gouvernance efficace de l’océan de devenir une réalité, plutôt que de rester un simple discours.
L’objectif 30x30, qui vise à protéger 30 % de l’océan d'ici à 2030, est devenu un pilier central de la conservation marine au niveau mondial. Où en sommes-nous aujourd’hui – et quels sont les principaux obstacles ?
Malheureusement, beaucoup reste à faire si nous voulons atteindre l’objectif 30×30 avant l’échéance fixée. Nous savons que la mise en œuvre effective de la protection des espaces marins à l’échelle mondiale prend du retard. À ce jour, un peu plus de 8 % de l’océan est protégé, et moins de 3 % est considéré comme efficacement géré. Par ailleurs, les scientifiques et les experts soulignent à juste titre que ce sont la qualité et l’efficacité de ces protections, et non simplement leur étendue, qui comptent le plus.
Ainsi, plusieurs défis se posent, mais trois questions essentielles doivent être résolues immédiatement pour que cet objectif ait une chance de réussir. Premièrement, où les protections doivent-elles être instaurées pour avoir un réel impact sur la biodiversité ? Deuxièmement, comment ces zones seront-elles gérées, surveillées et contrôlées dans le temps ? Et troisièmement, ce qui est souvent négligé, qui sera impliqué et qui en bénéficiera ?
La question de l’équité dans la gouvernance de l’océan est essentielle. Trop souvent, les efforts de conservation marine ont ignoré les communautés qui dépendent directement d’un océan en bonne santé pour vivre. Chez Global Fishing Watch, nous pensons qu’il est essentiel de donner aux parties prenantes un accès aux données et informations utilisées dans la prise de décision, tout en encourageant leur participation pour assurer la durabilité et le succès des efforts de protection. L’objectif 30×30 peut être une réalisation déterminante de notre époque, mais seulement si nous nous rappelons que des objectifs audacieux exigent plus qu’un accord mondial : ils nécessitent aussi une confiance locale, de l’équité et des actions fondées sur des données fiables.
Global Fishing Watch a participé à la conférence Our Ocean en avril et est désormais présente à la Conférence des Nations Unies sur l’océan à Nice. Ces sommets internationaux permettent-ils réellement de progresser vers une utilisation plus durable de l’océan ?
Les immenses défis de notre époque ne peuvent pas être relevés de manière isolée. Nous avons besoin de multilatéralisme et de coopération pour faire face aux crises du climat et de la biodiversité. Les grandes réunions internationales, telles que la Conférence des Nations Unies sur l’océan, sont des outils essentiels pour faire avancer la protection de l’océan. Elles permettent de maintenir l’élan, d’encourager la responsabilité et de générer la volonté politique nécessaire pour respecter les engagements internationaux. En réunissant gouvernements, scientifiques, société civile et secteur privé, ces forums poussent tous les acteurs à rester sur la bonne voie, à accroître leurs ambitions et à suivre les progrès de manière transparente. Ils sont aussi des espaces précieux pour faire émerger et partager des solutions innovantes, identifier ce qui fonctionne (ou non) et explorer comment les modèles efficaces peuvent être répliqués et étendus à d’autres échelles. Face à l’urgence et à la complexité du sujet, la mise en commun des expériences et l’harmonisation des priorités sont indispensables.
Parallèlement, ces forums présentent leurs propres défis. Il est essentiel de s’interroger en permanence sur leur réelle inclusivité et de veiller à ce qu’ils restent accessibles à l’ensemble des parties prenantes, en particulier les jeunes, les peuples autochtones, les communautés locales et les groupes historiquement marginalisés. Dans cette démarche, nous devons nous engager à rendre chaque édition plus inclusive que la précédente. Le succès et l’impact de ces rassemblements reposent sur une participation large et diversifiée, non seulement en termes de présence, mais aussi d’influence réelle.
Sur un plan plus personnel, bien que ces sommets soient souvent intenses et rapides, ils représentent aussi des moments de réflexion et de reconnexion. Ils me permettent de renforcer des amitiés tissées au fil du temps et d’échanger avec une communauté de convaincus, d’acteurs engagés, d’optimistes et de personnes animées d’espoir, unies par un même engagement : protéger l’océan. Ce sentiment d’engagement commun est à la fois un ancrage et une source de motivation.
Global Fishing Watch décrit souvent la transparence comme essentielle à une gouvernance efficace de l’océan. Que signifie cette transparence, et comment la concilier avec les préoccupations liées à la sécurité en mer ?
La transparence est un pilier fondamental de toute bonne gouvernance. Elle renforce la responsabilité, favorise la participation aux prises de décision et, si elle est appliquée de manière significative et cohérente, contribue à faire progresser l’équité en matière d’accès à l’information et aux ressources. C’est pourquoi, chez Global Fishing Watch, la transparence signifie rendre les données spécifiques sur l’océan et les navires, ainsi que les politiques et décisions qui les encadrent, disponibles et accessibles à toutes les parties prenantes. Notre objectif est de garantir que les individus et les communautés affectés par les décisions en matière de gestion de l’océan aient accès aux mêmes informations que ceux qui les prennent.
Cependant, à mesure que la transparence devient la norme, nous restons également vigilants face aux risques, notamment dans les contextes liés à la sécurité en mer. Nous accordons une grande importance à ces préoccupations. Par exemple, lors de la diffusion des données, nous appliquons de courts délais ou des filtres afin de limiter les risques pour les individus, tout en préservant la valeur fondamentale de l’accès libre. Grâce à nos données quasi instantanées, les acteurs peuvent instaurer une transparence à la fois réfléchie, adaptable et pleinement au service de l’intérêt général. Dans un secteur aussi complexe et en perpétuelle évolution qu’est celui de la pêche, cet équilibre est crucial.
La technologie est vue comme un levier essentiel pour la surveillance et la gouvernance de l’océan. Du suivi satellitaire à la surveillance par intelligence artificielle, quels outils sont les plus efficaces et quelles sont les limites de leur adoption à grande échelle ?
Paul Woods, cofondateur et directeur de l’innovation chez Global Fishing Watch, dit souvent que nous sommes une plateforme technologique avec un agenda de transparence. Mais en tant qu’organisation, nous ne nous contentons pas d’inciter les gouvernements et les parties prenantes à collecter, entretenir et publier des données. Nous allons plus loin : nous leur demandons de s’engager en faveur de la transparence des données et nous leur fournissons une plateforme garantissant que ces données soient fiables, exploitables et accessibles. Les outils open source proposés par Global Fishing Watch permettent l’interopérabilité et la combinaison de jeux de données, afin d’apporter aux parties prenantes et au public les informations nécessaires pour relever une large gamme de défis, allant de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) à la protection de la biodiversité.
Comme pour beaucoup de solutions technologiques, l’adoption généralisée des outils de surveillance de l’océan est souvent freinée par le manque de capacités et de ressources. Mais lorsque ces limites sont levées, la technologie et la transparence peuvent devenir de puissants facteurs d’équité. L’accès libre à des données fiables permet même aux gouvernements disposant de ressources limitées de mieux gérer leurs eaux, en comblant les insuffisances persistantes en matière d’information. Chez Global Fishing Watch, notre objectif est d’atteindre un point de bascule où une masse critique de pays utilise activement des données ouvertes et transparentes, créant ainsi l’élan nécessaire à une transformation systémique de la gouvernance de l’océan.
Avec l’échéance de 2030 qui approche rapidement, quelles sont les trois actions prioritaires que Global Fishing Watch aimerait voir les gouvernements privilégier, tant au niveau national qu’international, afin de faire de la protection de l’océan une réalité tangible, et non plus un simple discours ?
Les gouvernements doivent de toute urgence passer de l’ambition à l’action pour respecter les engagements mondiaux et préserver la santé de l’océan. Chez Global Fishing Watch, nous appelons à trois priorités fondamentales pour combler l’écart entre les politiques et la réalité, axées sur la transparence, la pêche INN et la biodiversité.
Premièrement, les gouvernements doivent collecter, maintenir et partager publiquement les données clés sur l’océan et les navires, en particulier celles relatives à la propriété, à l’identité et à l’activité. La transparence reste un pilier essentiel d’une gouvernance efficace de l’océan, et sans un accès ouvert à des informations fiables, les efforts de gestion des ressources marines resteront toujours insuffisants.
Deuxièmement, les États côtiers, de pavillon, de débarquement et de marché doivent pleinement appliquer leurs responsabilités juridiques pour lutter contre la pêche INN. Bien que des progrès aient été réalisés, les lacunes dans l’application de la loi et les failles juridiques continuent de compromettre la durabilité des pêcheries et de favoriser les pratiques illégales.
Enfin, nous encourageons les gouvernements à ne pas seulement s’engager pour l’objectif 30×30, mais à le mettre en œuvre de manière efficace. Cela signifie d’identifier et de protéger les zones de biodiversité significatives, s’assurer que ces protections soient soutenues par des plans de gestion solides, et investir dans un suivi et une application à long terme. Une désignation seule ne suffit pas — elle doit être accompagnée des outils et ressources nécessaires pour être efficace.
Enfin, nous appelons les gouvernements à ne pas se contenter de s’engager sur l’objectif 30 x 30, mais à le mettre en œuvre de manière concrète et efficace. Cela implique d’identifier et de protéger des zones significatives, de garantir que ces protections soient soutenues par des plans de gestion rigoureux ainsi que d’investir dans un suivi et un contrôle continus. La simple désignation ne suffit pas, elle doit être accompagnée des moyens et des ressources nécessaires à son efficacité.
Global Fishing Watch reste engagé aux côtés des pays et de ses partenaires pour concrétiser ces priorités et faire de la transparence la norme en matière de gouvernance de l’océan.